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Iceberg > Pic Pétrolier > Chitour Gaz
de schiste : miracle ou calamité écologique ?
Mondialisation.ca
par Pr Chems Eddine Chitour, École Polytechnique enp-edu.dz le 27 janvier 2011 Puits d'extraction de gaz de schiste aux États-Unis. Ce gaz non conventionnel a un coût élevé, et qui demande des quantités énormes d’eau… Depuis quelques années, une « nouvelle ancienne » énergie a fait son apparition dans les pays développés, au départ aux États-Unis : les gaz de schiste ou “shales gas” boostés il est vrai par les prix élevés du pétrole et l’essor de la technologie du forage horizontal et l’amélioration des techniques de fracturation des roches qui ont rendu possible son exploitation. Il est vrai aussi que nous nous dirigeons inévitablement vers un épuisement des réserves d’énergies fossiles : pétrole, gaz et charbon manqueront complètement à l’échelle de la fin de ce siècle. D’après l’AIE, le Pic Pétrolier (peakoil) aurait été dépassé en 2006, nous serions inéluctablement sur le déclin… Quelques éléments pourraient cependant provisoirement, changer le cours des choses et ralentir ce phénomène de déplétion. Cette nouvelle manne est vue dans les pays occidentaux comme une réponse à l’hégémonie des pays du Sud et de la Russie sur le gaz. Il s’agit bien du même produit que le gaz dit conventionnel : pour l’essentiel du méthane, mais ici stocké dans les roches (des schistes donc), de façon diffuse, ce qui en rend difficile son extraction. « Le gaz naturel,
écrit Eric Delhaye président de Cap 21, va
probablement occuper une place importante dans les décennies
à venir pour accompagner cette transition. On estime ainsi que
la consommation mondiale de gaz devrait passer de 3
Téramètres cubes en 2007 à 4,4
Téramètres cubes en 2030. Alors que les réserves
de gaz naturel conventionnel décroissent (estimation à 60
ans de consommation), un certain nombre de pays se tournent de plus en
plus vers l’extraction de gaz non conventionnels qui permettent de
réévaluer les réserves mondiales de gaz de 60
à 250%, selon Petroleum Economist. Pour certains, c’est la
promesse d’un nouvel eldorado économique d’autant plus que les
gisements sont disséminés dans de nombreux bassins
sédimentaires dans le monde, notamment aux États-Unis et
en Europe, de quoi s’affranchir de contextes géopolitiques
parfois instables. Rappelons en effet, que 4 pays contrôlent
aujourd’hui 55% des réserves de gaz naturel conventionnel :
Russie, Iran, Qatar et Arabie Saoudite. Les réserves de gaz de
schistes sont estimées à 666 Tera-m3 contre 185 Tera-m3
de gaz naturel. Le prix d’extraction est de 140 à 210 dollars
par milliers de m3. Avec les gaz non conventionnels, la Russie a perdu
en 2009 son statut de premier producteur mondial de gaz au profit des
États-Unis où la production a progressé de 4% pour
atteindre 601 Gm3 contre 575 Gm3 pour la Russie. » (1)
Pic Pétrolier Pierre Veya citant le rapport de l’Agence internationale de l’énergie sur les perspectives 2009, rapporte que les réserves mondiales de gaz sont sans doute, beaucoup plus importantes que prévues. « Jusqu’ici, il
était communément admis que la planète pourrait
satisfaire ses besoins en gaz pour les 60 prochaines années, en
puisant dans les stocks de trois pays (Russie, Iran, Qatar) qui se
partagent une bonne moitié des réserves. Or, en
réalité, les réserves pourraient couvrir deux
siècles de consommation si l’on cumule les gaz non
conventionnels, en particulier les gaz contenus dans les schistes (shale gaz en anglais) et les zones
de transition (gaz de charbon, réservoirs très profonds).
Les schistes à porosité très faible,
piègent de grandes quantités de gaz provenant de la
décomposition de bactéries et de matières
organiques. Ils suscitent aujourd’hui une frénésie
d’investissements. Car les gaz de schiste sont de plus en plus
exploitables grâce à des techniques de fracturation des
roches par l’envoi d’eau et de sable pour libérer les
hydrocarbures. C’est aux États-Unis, à partir du
début des années 90, qu’un “rush” sur ces gisements a
démarré avec la mise en service d’une cinquantaine de
puits. On en dénombre aujourd’hui des milliers et les experts
prévoient qu’à l’horizon 2030, 60% de la production
américaine (la deuxième plus grosse production mondiale
après la Russie) pourraient provenir de forages profonds et
horizontaux, couvrant de larges territoires. » (2)
« (…) L’Europe, qui redoute de devenir de plus en plus dépendante vis-à-vis de la Russie, trouverait des ressources non exploitées pour desserrer l’étau qui se referme sur elle. (…) Cette perspective expliquerait en partie les difficultés de financement rencontrées par les promoteurs des nouvelles routes de gaz et contribue, sans aucun doute, à fragiliser les grands projets de gaz liquéfiés qui doivent permettre aux États-Unis et à l’Europe de diversifier leurs sources d’approvisionnement. » (2) Bref, c’est une manne céleste ; même la France revendique sa part. « Rangez les
éoliennes ! écrit Laurent Carpentier. Au placard
l’énergie solaire ! Oubliées nos bonnes
résolutions en termes d’émissions de CO2. Nous sommes
sauvés : voici le gaz de schiste… La France serait en effet
assise sur d’importantes réserves de ce gaz naturel en tout
point semblable à celui que l’on connait sauf qu’au lieu
d’être concentré au sein de poches souterraines, celui-ci
est disséminé dans ces argiles profondes et
imperméables. Le principe est simple : après avoir
foré verticalement, on pénètre horizontalement les
schistes, dans lesquels on envoie à forte pression des milliers
de litres d’eau, de sable et un cocktail d’adjuvants chimiques pour
ouvrir la roche. On appelle cela la “fracturation hydraulique”. Lourde
de conséquences pour l’environnement, cette
technologie est la clé à la fois géniale et
monstrueuse d’une révolution énergétique qui a
déjà propulsé les États-Unis en
première place de la production mondiale de gaz naturel. »
(3)
Bassin d'eaux usées issues de l'extraction des gaz de schiste. Ruée sur cette « manne » ou malédiction ? « Les gaz de schiste
connaissent présentement, un essor extraordinaire aux
États-Unis. En Europe, les compagnies pétrolières
commencent à s’intéresser sérieusement à
cette ressource de gaz non conventionnels. Leur exploitation causant
une dégradation environnementale incommensurable, les
écologistes et environnementalistes sont en alerte. (…) La
révélation de tels gisements exploitables
représente, pour la société énergivore d’un
nouvel âge que l’on qualifie d’oléocène, une manne
considérable… Des décennies de gaspillage
énergétique sont enfin possibles sans recours aux
énergies alternatives et renouvelables, de quoi nous combler,
nous enchanter ! Une telle exploitation ravageuse n’est rendue possible
que grâce à la technique de fracturation hydraulique des
roches, ainsi qu’à une récente amélioration des
méthodes d’extraction, en particulier par forage horizontal. Les
gaz de schiste étant dispersés dans la roche
imperméable, il est donc nécessaire de forer
d’innombrables puits en fracturant la roche. Chaque puits exploitable
ne l’est que brièvement, un suivant doit donc être
foré quelques centaines de mètres plus loin, et ainsi de
suite… À deux ou trois mille mètres de profondeur, la
réunion des micro-poches à l’aide d’un explosif
détonné pour chacune des brèches occasionne un
véritable séisme. La fracturation se fait par un
mélange d’eau en grande quantité, de sable et de
redoutables produits chimiques propulsés à très
haute pression (600 bars), méthode qui génère la
remontée du gaz à la surface avec une partie du
redoutable liquide de fracturation. Chaque “frack” nécessite quasiment
15 000 mètres cubes d’eau (soit 7 à 15 millions de
litres), un puits pouvant être fracturé jusqu’à 14
fois. » (4)
L’impact environnemental n’est donc pas neutre. L’eau utilisée doit être ensuite traitée car elle est souvent salée et contient des métaux lourds. La multiplication des forages et des réseaux de pipes affectent gravement les paysages, d’autant plus que la zone de drainage autour des puits étant faible, il peut y avoir un puits tous les 500 mètres. Selon un rapport réalisé l’an dernier par l’EPA (Agence de protection de l’environnement américaine), « l’activité du gisement de Barnett Shale, dans le nord du Texas, pollue plus que le trafic automobile de cette ville de 725 000 habitants. Suivant notre devise d’exploiter la Terre jusqu’à la moelle, nous allons droit à un emballement herculéen de la si vaste et si complexe machine climatique, et la France ne va pas s’épargner d’y participer. À la clé: une indépendance énergétique qui vaut bien une catastrophe environnementale finale et réussie. » (4) « Ces techniques, pense
Éric Delahaye, ne sont pas sans poser de lourds
inconvénients pour l’environnement. La fracturation hydraulique
requiert en premier lieu d’importantes quantités d’eau,
plusieurs millions de litres d’eau pour chaque gisement
exploité. Elle utilise de nombreux produits chimiques dont on ne
connaît d’ailleurs pas la liste exhaustive. On trouve notamment
des produits gélifiants, des antibactériens, des acides…
Selon le Département de la protection de l’environnement en
Pennsylvanie, c’est un véritable cocktail chimique qui est
utilisé par l’industrie avec des composés souvent
hautement cancérogènes, et toxiques pour les milieux
aquatiques. Ont été identifiés, entre autres, le
benzène et ses dérivés, les éthers de
glycol, des acides, du formaldéhyde, du toluène, du
xylène, du naphtalène, des amides et amines… Une partie
seulement de l’eau utilisée est récupérée
(50 à 90% ?) dans de vastes bassins de
récupération et nécessite d’être
traitée. Les stations d’épuration urbaines ne savent pas
traiter ces effluents. Le gaz de schiste est exploité depuis
plusieurs années aux États-Unis. On y compte près
de 500 000 puits d’exploitation dans 31 États. » (1)
« En 2009, le gaz non conventionnel a ainsi représenté la moitié de la production gazière américaine, et il en assurerait 60% en 2030, selon les dernières projections de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). L’extraction gazière s’est accompagnée d’activités sismiques anormales dans certaines régions au nord du Texas. Un article paru dans la revue Scientific American souligne aussi des contaminations radioactives à partir de données du Department of environmental conservation (DEC) de New York qui aurait analysé 13 prélèvements d’eaux usées de forage à des centaines de pieds de profondeur. On a trouvé dans les eaux usées du radium 226, à des concentrations dépassant 267 fois la limite permise aux déversements dans la nature, mille fois la limite permise dans l’eau potable. » (1) Mort massive d'oiseaux (ici en Louisiane). Rady Ananda va dans le même sens et décrit les dégâts faits à l’environnement en Arkansas, notamment aux oiseaux qui meurent par milliers. « Au cours des quatre
derniers mois de 2010, près de 500 tremblements de terre ont
secoué Guy en Arkansas. En 2009, 38 séismes ont eu lieu
dans tout l’État. Le point culminant de la fréquence des
séismes a été atteint le 30 décembre, avant
et pendant la mort de 100 000 poissons, sur une distance de 20 milles
au long de la rivière Arkansas, incluant Roseville Township. La
nuit suivante, 5000 carouges à épaulettes et
étourneaux sansonnets sont morts subitement et sont
tombés du ciel à Beebe. Le coupable le plus probable de
ces trois événements serait la fracturation hydraulique,
puisqu’elle provoque des tremblements de terre entraînant la
libération de toxines dans l’environnement. » (5)
«Un examen de l’histoire des séismes et du forage en Arkansas révèle une hausse consternante de la fréquence des tremblements de terre après un forage avancé. Le nombre de séismes en 2010 équivaut presque à celui enregistré pour tout le XXe siècle. L’industrie du pétrole et du gaz nie toute corrélation. En décembre seulement, plus de 150 tremblements de terre ont ébranlé l’Arkansas. Le flot de séismes à Guy est probablement le résultat de six années de forage intense. Guy se situe au coeur de la formation de schiste de Fayetteville, qui, selon l’Arkansas Geological Survey (AGS), est « le foyer actuel d’un programme de développement et d’exploration régional des gaz de schiste ». Un milliard de pieds cubes de gaz a été produit dans cette zone depuis 2004. Beebe, là où sont morts les oiseaux, est dans White County et Guy est à l’extrême nord de Faulkner, Co., où les séismes anormaux ont toujours lieu. Les carouges à épaulettes se reposent en groupe pouvant contenir jusqu’à un million d’oiseaux ou plus, incluant souvent d’autres espèces, comme les étourneaux sansonnets et les vachers (dans les années 1950 et 1960, les dortoirs pouvaient compter 20 millions d’oiseaux). » (5) « Les carouges préfèrent un couvert végétal bas et dense dans les marécages ou près des ruisseaux. (…) Un tremblement de terre, peu importe à quelle échelle, peut libérer un flux ou un nuage de gaz et de produits chimiques issus de la fracturation. Cela peut facilement expliquer pourquoi des oiseaux endormis s’envoleraient soudainement pour ensuite mourir rapidement en succombant aux fumées toxiques. » (5) « Le géologue canadien Jack Century est en croisade contre la sismicité induite par le forage irresponsable. La fracturation provoque non seulement de l’agitation microsismique pouvant compromettre l’intégrité des tubages de puits, mais aussi de forts tremblements de terre allant de 5 à 7 sur l’échelle de Richter et causant des décès. (…) Étant donné la partialité du gouvernement en faveur des géants de l’énergie – la destruction du golfe du Mexique par BP est un bon exemple – il se peut que davantage d’actions directes soient requises de la part des citoyens si l’on compte sauver l’environnement et la santé humaine de l’industrie du combustible fossile. » (5) Comme on le voit, l’extraction des gaz non conventionnels n’est pas sans risque. Les gouvernements, obnubilés par une boulimie énergétique, ont un comportement énigmatique. D’un côté, on parle de changements climatiques, de la nécessité d’aller vers des énergies renouvelables pour ne pas dépasser le seuil de non-retour en termes de changements climatiques. De l’autre, une véritable frénésie s’est emparée des pays industrialisés pour traquer la moindre bulle de gaz et même la moindre goutte de pétrole, comme on le voit par exemple, avec BP (Beyond Pétroleum) qui s’en va en Alaska polluer pour retirer cet “excrément du diable” même si elle démolit l’environnement comme elle l’a fait dans le golfe du Mexique. Ne vaut-il pas mieux au lieu de foncer tête baissée dans cette aventure, faire une étude pour analyser sérieusement les risques environnementaux, comme le rapporte Louis-Gilles Francoeur à propos du Québec ? « L’Association
québécoise de lutte contre la
pollution atmosphérique (Aqlpa) a proposé, en effet, une
“feuille de route” en quatre points qui permettrait
justement à Québec de déterminer d’une
manière rigoureuse et socialement acceptable « s’il est
souhaitable que le Québec s’engage ou non dans la production de
gaz de schiste ». Selon ce plan, Québec prendrait
trois ans
pour déterminer les risques pour l’environnement et la
santé humaine. » (6)
Gageons que le gouvernement du Québec dans son infinie sagesse fera la part des choses, entre un gain éphémère qui profite à un petit nombre et une destruction écologique durable qui concernera tout les canadiens. L’Algérie, pour sa part, n’a pas vu venir l’avènement des gaz de schiste. Elle peine à placer le GNL, du fait que les États-Unis ne prenaient plus le GNL algérien. Par ailleurs, on parle de recherche et d’exploitation de ce gaz non conventionnel à un coût élevé, et qui demande des quantités énormes d’eau… Pr Chems Eddine Chitour Notes/Références 1. Eric Delhaye, président délégué de CAP21 : Les autres dégâts réels. 6 décembre 2010 2. Pierre Veya : Gaz : le scénario qui change tout. Les gaz non conventionnels modifient la donne énergétique mondiale 3. Laurent Carpentier : Gaz de schiste, Le Monde Magazine 22 janvier 2011 4. Gaz de schiste : une bataille mondiale d’ampleur inédite, une nouvelle catastrophe pour l’environnement, www.notreplanète.info, 17 décembre 2010 5. Rady Ananda : Fracturation hydraulique, produits chimiques toxiques et augmentation de l’activité tellurique http://www.mondialisation.ca/…=va&aid=228081 6 janvier 2011 6. Louis Francoeur : Québec : Gaz de schiste: urgence d’exploiter ? Mondialisation.ca, 30 novembre 2010 |