11-Septembre

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Préparatifs de guerre

par Michael C. Ruppert
Journaliste, éditeur de From the Wilderness
extrait de "Franchir le Rubicon", 2004

Entrée d'une médersa en Ouzkékistan
Entrée d'une médersa en Ouzbékistan.
L'oléoduc Afghan ira notamment chercher le gaz Ouzbek. (source image)
(images et légendes ajoutées)

Cet extrait de “Franchir le Rubicon”, le livre de Michael C. Ruppert, ne nous montre rien de moins que la genèse du 11 septembre, c'est-à-dire le moment où la mécanique des besoins pétroliers impose au pouvoir politique une action radicale. Ce moment se situe entre 1998 et 2000 et prend son origine dans le fiasco de l'Asie centrale, région dans laquelle les géologues plaçaient de grands espoirs. Dès lors, seul le Moyen-Orient peut combler les besoins Occidentaux. [Y.D. le 18/08/2007]


CHAPITRE 8
Préparatifs de guerre : l'ISI Pakistanais, l'agent de l'Amérique qui protège les Talibans et Al-Qaïda


L'équipe secrète américaine dénoncée

Nous avons démontré que les intérêts saoudiens avaient, avec la bénédiction et l'approbation de l'Amérique, fait figure de principal financement et, dans certains cas, de soutien stratégique pour les talibans et pour Oussama Ben Laden. Le Pakistan agissait quant à lui sous la direction et sur les conseils des États-Unis et jouait le rôle du bras de soutien logistique en ce qui concernait les "impératifs" géostratégiques des États-Unis en Asie centrale. C'est en examinant le rôle du Pakistan que nous avons la preuve qu'un personnel réduit à une élite transcendant n'importe quel parti politique, fait concrètement et secrètement fonctionner ce type de conspiration sans y impliquer beaucoup de gens. C'est en fait un membre républicain influent de la Commission Parlementaire des Relations Internationales qui va illustrer pour nous ce genre de leçon cruciale. Nous rencontrerons également dans ce chapitre un certain Karl "Rick" Inderfurth, un de ces nombreux témoins-clés qui mériteraient un interrogatoire approfondi à propos du 11 septembre.
Je voudrais exprimer ici mon immense gratitude et mon profond respect à propos du travail de deux spécialistes, le professeur Michel Chossudovsky du Centre for Research on Globalisation (Centre de recherche sur la mondialisation) – titulaire d'un doctorat de l'Université d'Ottawa, et Nafeez Ahmed de l'Institute for Policy Research and Development (Institut de recherches politiques et de développement). Leur travail de fond a pour nous tous été d'une importance fondamentale.

L'ISI

Il n'y a depuis le 11 septembre pratiquement eu personne pour nier dans la grande presse ou ailleurs que l'Inter Service Intelligence (ISI) (Renseignements Inter Armes) avait été un proche allié de la CIA. Il existe une documentation bien fournie sur l'utilisation du Pakistan dans les années 1980 par la CIA pour mener une guerre clandestine contre l'occupation soviétique en Afghanistan. Zia Ul-Haq, le dirigeant pakistanais de l'époque, intensifia des relations CIA-ISI déjà étroites au cours d'opérations clandestines organisées par Brzezinski et d'autres, qui étaient ensuite menées par Bill Casey, le directeur de la CIA sous Ronald Reagan. La région connut une explosion du commerce de l'héroïne au cours des années 1980 et Oussama Ben Laden, qui combattait du même côté que le seigneur de la guerre et protégé de la CIA Gulbuddin Hekmatyar, goûta pour la première fois aux combats de guérilla et aux tactiques terroristes dans les montagnes afghanes et pakistanaises. Ce sont ces mêmes montagnes qui furent truffées de grottes aménagées, construites pour la plupart par le Groupe saoudien Binladin (SBG) et financées par la CIA.
Je n'ai guère été surpris quand Michel Chossudovsky me raconta au cours d'une conversation que nous avons eue en 2001 que chaque nouveau dirigeant de l'ISI devait, par le biais d'un accord verbal, recevoir la bénédiction du directeur de la "Central Intelligence" à Langley, Virginie. L'ascension des talibans et l'établissement de leur pouvoir sur des tribus afghanes culturellement fragmentées n'ont pu avoir lieu que parce que la CIA et l'ISI avaient fait en sorte que cela se fasse. Si l'on en croit un long article de une, les États-Unis pensaient avoir trouvé dans les talibans un groupe qui pourrait unifier le pays et constituer une base stable pour la construction d'oléoducs. Cela pourrait effectivement avoir été le cas dans un premier temps, sauf que les choses furent différentes à partir du moment où l'aubaine que constituait le pétrole de la Caspienne tourna au fiasco. Pourtant la CIA continua à protéger les talibans – pourquoi ?

Tome 1 du livre de Micheal C. Ruppert, Franchir le Rubicon (éd. Nouvelle Terre)
"Franchir le rubicon" tome 1, le livre de Michael C. Ruppert

Ahmed écrivit ce qui suit dans "War on Freedom" (La guerre contre la liberté).

Le contrôle de l'Afghanistan par les seigneurs de la guerre de l'Alliance du Nord fut de plus en plus battu en brèche par les forces des talibans, qui recevaient l'appui du Pakistan et de l'Arabie Saoudite. Quand les talibans prirent possession de Kaboul en 1996, ce qui établissait la domination de cette faction sur l'Afghanistan, Olivier Roy, un spécialiste français de renom, remarqua que : "Quand les talibans ont pris le pouvoir en Afghanistan, tout cela était largement orchestré par les services secrets pakistanais [ISI] et par la compagnie pétrolière Unocal, secondée par Delta, son alliée saoudienne."1

Chose qui fut confirmée par des recherches supplémentaires de Peter Dale Scott, qui indiquaient que le soutien de l'ISI aux talibans avait été facilité – voire télécommandé – par l'Arabie Saoudite, la CIA et Unocal.2
Ahmed continuait plus loin.

Après une visite du Prince Turki [qui jouait depuis plus de 20 ans le rôle d'intermédiaire entre l'Arabie Saoudite et Ben Laden], le responsable des renseignements saoudiens, à Islamabad et à Kandahar, l'alliée des États-Unis qu'était l'Arabie Saoudite finança et équipa la marche des talibans sur Kaboul. Des spécialistes américains de l'Afghanistan admettent aujourd'hui que les États-Unis ont soutenu l'ascension des talibans.3

Il faut se souvenir qu'en 1996, Oussama Ben Laden était déjà un homme recherché. Mais c'était également une action logique de disposer d'un descendant de la famille nanti d'une expérience dans les affaires de pétrole là où il pouvait se révéler utile : il possédait effectivement la plus grosse entreprise en bâtiment de la région.
Bien que les rapports entre saoudiens et talibans firent généralement l'objet de démentis dans les mois qui ont suivi le 11 septembre, alors que de nombreux auteurs tentaient déjà de les mettre en lumière, nous avons la plupart du temps par avoir gain de cause dans la grande presse sur ce point précis.

Carte d'Asie Centrale
L'Asie centrale. Les experts ont surestimé ses réserves pétrolières.

On peut maintenant s'interroger sur le but réel d'une série de rencontres secrètes organisées par celui qu'on a appelé le "Groupe 6+2", qui atteignirent leur point culminant en juillet 2001 en y impliquant les six pays qui jouxtaient l'Afghanistan, auxquels s'ajoutaient la Russie et les États-Unis. Les voisins directs de l'Afghanistan sont le Pakistan, la Chine, l'Iran, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan. Les représentants américains comprenaient Tom Simmons, l'ancien ambassadeur américain au Pakistan, Lee Coldren, un ancien spécialiste des affaires sud asiatiques du Département des Affaires Étrangères et Karl "Rick" Inderfurth, l'ancien adjoint du Secrétaire aux Affaires Étrangères pour les affaires sud asiatiques. Ces réunions comme leurs participants américains font l'objet d'une documentation bien fournie dans des publications européennes majeures et dans "La vérité interdite".4
C'est seulement récemment que Simmons, Coldren et Inderfurth sont devenus "d'anciens" officiels américains. Ils faisaient tous partie de l'administration Clinton et ont poursuivi ces entretiens en tant que citoyens privés, en leur donnant une possibilité de démenti dont le degré appartient à ce que Brisard et Dasquié appellent une diplomatie de niveaux Deux. C'était Rick Inderfurth en personne qui avait fait la première visite officielle au général pakistanais Pervez Mousharraf après que ce dernier ait pris le pouvoir en 1999 à la faveur d'un coup d'État. Une fois sur place, Inderfurth avait rencontré deux représentants des talibans.5 Il fut rapporté dans un certain nombre d'articles de presse que les représentants pakistanais (dont l'ISI) qui assistaient à ces rencontres du 6+2, servaient d'intermédiaires avec les talibans quand ceux-ci en étaient absents.6
Bien que tous les comptes-rendus de presse fournissent la même description basique du but de ces rencontres, on ne trouve véritablement que Brisard et Dasquié pour en donner une explication détaillée dans "La vérité interdite". Créé en 1997 sous les auspices de l'ONU et avec l'approbation du Secrétaire d'État adjoint Strobe Talbot, ce groupe était censé garantir des accords multinationaux qui auraient permis d'exploiter les ressources en pétrole et en gaz de la Caspienne et de construire des oléoducs. Pendant deux années, les négociations menées par le groupe furent entravées par des disputes internes – mais à la fin de 2000, il semblait qu'on fut proche d'un accord. Les talibans assistaient souvent à ces réunions et on aurait pu penser un temps que la guerre allait pouvoir être évitée. Il était même question de la reddition d'Oussama Ben Laden lui-même.

Un mois plus tard, le 18 octobre 2000, le Département des Affaires Étrangères reconnaissait le travail accompli par le 6+2 ainsi que la nécessité de poursuivre les négociations avec les talibans au nom de la pacification de l'Afghanistan. Deux semaines plus tard, les négociations semblaient sur le point d'aboutir. Francesc Vendrell [le représentant spécial de l'ONU] déclara que les talibans et l'Alliance du Nord semblaient pour la première fois en passe d'accepter la perspective d'un processus de paix sous l'égide du 6+2. Les espoirs de l'Occident quant à la stabilisation de la situation afghane semblaient plus que jamais sur le point de se réaliser et Ben Laden allait être chassé de sa retraite. Pourtant, aux tout derniers jours de l'administration Clinton et après sa débâcle aux élections américaines qui vit l'accession au pouvoir de son rival Georges W. Bush, tout changea brusquement à une cadence qui semblait dictée par cette élection.
En moins d'un mois, l'équilibre diplomatique qui avait été atteint entre les talibans et l'Occident fut rompu. Il n'était maintenant plus question de négociations et encore moins de discussions sous la direction du 6+2. Les remarques qui étaient faites des deux côtés étaient empreintes de violence et de suspicion, voire de colère [...].
Ce qui pouvait – du point de vue des talibans – encore plus mis le feu aux poudres, avait été l'appel de la Russie à durcir les sanctions vis-à-vis des talibans et la résolution du conseil de sécurité de l'ONU que les Russes et les Américains étaient en train d'établir, qui visait à interdire la vente d'armes aux talibans mais pas à leurs opposants.7

Il s'agissait là d'un revirement complet par rapport aux positions secrètes qu'avaient adoptées les États-Unis au cours des quatre années précédentes. Les États-Unis avaient dans un premier temps armé les talibans et refusé toute aide à leurs opposants. On pouvait bien sûr être en droit de se demander, quatre années plus tard et après qu'ils aient réussi à prendre le contrôle du pays, s'il était vraiment nécessaire de fournir des armes aux talibans.

Oléoduc au Yemen
Oléoduc au Yemen.
La sécurisation de l'approvisionnement est un enjeu aussi important que le pétrole lui-même.
(source image)

Une des dernières initiatives diplomatiques de l'administration Clinton consista à réclamer de nouvelles sanctions marquées au coin de la sévérité contre les talibans.8 Mais plusieurs questions méritent ici discussion. "La vérité interdite" manque premièrement de clarté quant à ce qui a provoqué l'aggravation de ces relations, à un moment où des accords longtemps attendus sur le pétrole étaient sur le point de se conclure. Tout ce que nous savons, c'est que ce changement a coïncidé avec les élections – et deuxièmement, le fait que les États-Unis et la Russie aient agi de concert pour saborder les relations et réclamer des sanctions, suggère autre chose qu'une administration démocrate amère qui aurait versé dans la politique de la terre brûlée. La Russie n'aurait jamais agi contre ses propres intérêts, que ce soit dans la région ou sur un plan mondial, en agaçant un président américain fraîchement investi dont elle allait devoir s'accommoder quatre années au moins. L'administration entrante avait dû être plus ou moins d'accord pour opérer un revirement complet de ce type.
Ce qu'on sait, c'est que les plans d'une invasion de l'Afghanistan répondant à ce qu'on appelait "l'option militaire", étaient déjà prêts depuis un certain temps (l'initiative en avait été prise sous l'administration Clinton).9 On sait également que l'Inde, la Russie, la Pakistan, l'Ouzbékistan et le Tadjikistan avaient pris part aux préparatifs de ce qui était censé être une action militaire conjointe – programmée pour octobre 2001 – des Américains et des Russes contre l'Afghanistan. Il en avait même été ouvertement question dans des journaux de la région en juin 2001.10 Dans les mois qui ont suivi les attaques du 11 septembre, un certain nombre de sites internet de l'armée contenaient des références à du personnel militaire américain discrètement déployé en Asie centrale depuis 1997 au moins.
Même le Washington Post avait rapporté que l'armée américaine mettait discrètement des pions en place au Kazakhstan, au Kirghizistan et en Ouzbékistan des mois avant que l'élection présidentielle ait lieu.11 Ayant consulté un certain nombre d'experts militaires dont Stan Goff, un instructeur militaire de West Point à la retraite, il me semble difficile de croire que des plans d'invasion aient pu être concoctés et mis à exécution à partir de janvier pour pouvoir être révélés au public en juin. Il est évident que l'option militaire a été initiée sous le mandat de Clinton.
Il y a un autre temps fort de ces événements qui est ici important. C'est effectivement juste après la récolte de 2000 que les talibans ont institué l'interdiction de l'opium. La production mondiale d'opium étant principalement concentrée en Afghanistan, il en a résulté que les marchés financiers de la planète en ont subi le contrecoup. J'ai moi-même qualifié ce genre d'interdiction d'acte de guerre économique.12
La chronologie de Paul Thompson mentionne ainsi ce qui suit.

Les comptes-rendus semblent diverger mais Niaz Naïk, le Secrétaire aux Affaires Étrangères pakistanais, révèle par la suite qu'un responsable américain lui a dit lors de la réunion [de juillet 2001 du 6+2] qu'il est prévu que l'action militaire destinée à renverser les talibans en Afghanistan, « ait lieu au plus tard à la mi-octobre, avant que la neige ne commence à tomber en Afghanistan ». L'objectif est de tuer ou de capturer à la fois Ben Laden et le Mollah Omar, le chef des talibans, de renverser le régime des talibans et d'établir à sa place un gouvernement de transition composé d'Afghans modérés. Naïk déclare également qu' « qu'il y avait peu de chances que Washington abandonne son projet même en supposant que les talibans lui livrent immédiatement Ben Laden » [BBC du 18 septembre 2001].13

C'était là une des meilleures façons de s'assurer que Ben Laden resterait en Afghanistan, en particulier si les talibans étaient conscients de leur chute imminente. Il est probable qu'on ait également là l'indication que la CIA avait perdu tout espoir de restaurer le flux financier que générait le commerce de l'opium. La CIA était déjà bien implantée dans la région ; elle disposait là-bas d'une infrastructure et sa mission était de protéger les flux financiers issus de la drogue pour le compte de Wall Street.
Une allocution prononcée le 11 avril 2001 à la faculté de droit de l'Université de Duke par James Pavitt, le directeur adjoint des opérations de la CIA, mit à mal le mythe d'une CIA dont les ressources auraient été défaillantes, ou qui aurait d'une manière ou d'une autre été absente  de la région. Son allocution fut mise sur le site internet de la CIA et par la suite brillamment analysée Larry Chin, un journaliste de l'Online Journal (<www.onlinejournal.com>). Les extraits essentiels suivants de cette allocution montrent bien l'importance que peut avoir la région et à quel point la CIA y est active.

Nous étions très, très bien renseignés sur la structure générale et sur la stratégie de l'organisation terroriste Al-Qaïda. Nous savions et avions prévenu qu'Al-Qaïda préparait une attaque majeure. Il n'y a là-dessus aucun doute [...]. Si vous entendez des gens dire, comme cela a été le cas pour moi, que la CIA  a abandonné l'Afghanistan à partir du moment où les soviétiques sont partis et que nous ne nous sommes plus intéressés à cet endroit jusqu'au 11 septembre, je vous conjurerais de demander à ces personnes-là comment nous aurions été en mesure d'accomplir tout ce que nous avons fait depuis le départ des Soviétiques. Comment aurions-nous su qui [sic] était susceptible d'être approché sur le terrain, la nature des opérations, quel seigneur de la guerre soutenir, quel type d'information collecté ? Pour dire les choses clairement, nous étions là-bas bien avant le 11 septembre [...]. Rien que pour le central des opérations, nous nous sommes entraînés plus de 10 fois depuis un minimum de cinq ou six ans, comme la plupart des membres des opérations.14

Le vice-président Dick Cheney
Depuis son arrivée au poste de vice-Président, Dick Cheney s'intéresse à la question de l'énergie. Le matin du 11 septembre, alors que les occupants de la Maison Blanche sont pétrifiés par l'horreur de l'attaque, Cheney reste impassible et est le premier à reprendre la situation en main. L'âme damnée de Bush ? (source image)

La nouvelle administration Bush s'engage promptement dans ce qui allait devenir une ronde effrénée de nouvelles négociations plutôt agressives avec les talibans. Francesc Vendrell, nommé par l'ONU à la tête du groupe 6+2, fit pas moins de cinq voyages en Afghanistan pour la seule période d'avril à août 2001.15
Le point culminant de ces ultimes négociations secrètes qui se tinrent à Berlin en juillet 2001, fut apparemment le résultat de discussions survenues le 15 juillet au cours du sommet du G8 à Gênes, en Italie, où les échanges se concentrèrent entre autres sur les oléoducs, les questions de pétrole et Oussama Ben Laden.16 Ce fut immédiatement après cela qu'Inderfurth, Simmons et Coldren commencèrent à asséner l'option militaire aux talibans par l'intermédiaire des messages que relayait l'ISI.17
Tout ceci semblerait vouloir indiquer qu'une autre série de priorités – qui laissait les oléoducs de côté – avait pris le relais. C'est pourtant à la même époque que les représentants américains délivrèrent un ultimatum aux talibans mentionné par la presse, leur enjoignant de livrer Ben Laden, de stabiliser la situation et de négocier – ou ils n'auraient plus qu'à choisir entre un parachute doré et un tapis de bombes.18 Cet ultimatum, largement rapporté par la presse européenne, suscita un certain nombre d'explications de la part de ceux qui avaient participé aux réunions. Niaz Naïk, l'ambassadeur du Pakistan, fut d'accord pour dire qu'une telle déclaration avait bien été faite mais démentit le fait que les négociations portaient sur les oléoducs. Cela s'avère comme peu probable étant donné qu'on ne peut alors s'empêcher alors de se demander d'où serait sorti « l'or » promis aux talibans, si ce n'est des oléoducs.19 Quel résultat ces négociations étaient-elles par conséquent censées avoir ? Plus les mensonges s'accumulaient, plus il devenait difficile de les comprendre et d'en déduire les impératifs auxquels celles-ci obéissaient.

Carte des gisements de gaz et de pétrole dans la région de la Mer Caspienne

Réserves pétrolières et pipelines d'Asie centrale. (source image)

Indices concernant les élections de 2000

Il est certain qu'à la fin de 2000, les grandes compagnies pétrolières et BP-Amoco avaient acquis une vision très claire de ce qu'il en était vraiment des réserves pétrolières de la Caspienne. Il est également très probable que cela n'avait pas échappé aux talibans et à Ben Laden, dont les réseaux islamistes étaient bien établis aux sein des populations musulmanes d'Asie centrale. Il y a peu de chances pour qu'une telle information, eu égard aux dégâts qu'elle aurait engendrés sur les marchés financiers, ait été largement diffusée. Pour une raison similaire, le fait de la transmettre à d'autres nations aurait immédiatement indiqué que les États-Unis allaient tourner leurs regards vers l'Irak et l'Arabie Saoudite. Il ne restait pas d'autre endroit où aller. Tout ce qui concernait la consommation, la diminution du pétrole et la demande américaine n'était un secret pour personne. Il en allait également de même pour les données respectives de tous les pays et régions du monde. La demande en pétrole était en train d'exploser et on en trouvait de moins en moins. Les compagnies pétrolières avaient déjà investi des milliards en Asie centrale et s'étaient engagées à en dépenser encore d'autres. Le fait que tout le monde soit au courant du fiasco que représentait l'Asie centrale allait mener à une réplique frénétique mondiale de la ruée vers l'or californienne au Moyen-Orient, dans laquelle les enjeux seraient bien plus élevés. La politique étrangère américaine s'était concentrée sur l'isolement de l'Irak à travers des sanctions et sur une décision unilatérale, contre laquelle s'étaient élevées la plupart des grandes compagnies pétrolières, d'interdire les échanges avec l'Iran. Face aux réserves de pétrole restantes, les États-Unis se retrouvaient confrontés à des obstacles qu'ils avaient eux-mêmes érigés. Tout cela ne fait pas mystère, et peu importe le regard que l'on peut poser sur les intentions initiales qui président à cette politique des États-Unis vis-à-vis de l'Irak et de l'Iran : on peut les considérer comme un produit dérivé de conflits plus anciens, ou comme les aspects empreints de cynisme d'une ultime action militaire en quête de pétrole – dont l'heure avait fini par sonner.
Quatre jours à peine après avoir pris ses fonctions, le vice-Président Cheney créait sa cellule d'intervention pour l'énergie dans un secret quasi total. Mais il fut permis à quelques bribes d'information de filtrer des coulisses, comme par exemple l'infime révélation que la cellule d'intervention considérait le développement de nouveaux partenariats en Asie centrale.
Se pourrait-il, en admettant que seules les élites auraient su que l'Asie centrale était un fiasco ("Asie centrale" et "Caspienne" sont utilisées indistinctement), qu'on ait pressenti avant les élections de 2000 que la crise majeure de l'histoire humaine était peut-être plus proche et plus menaçante qu'on ne l'avait imaginé ? Se pourrait-il qu'un programme de gestion de crise ait été mis en place ? Si cela a ainsi été le cas, que ce programme ait nécessité l'immédiate mise en place d'une administration à la Maison Blanche – celle-ci étant capable d'agir secrètement et officiellement sans pitié, de favoriser le commerce de la drogue et d'être au fait des questions de pétrole et d'énergie ? Qu'avec de telles élections, forcément truquées ou détournées par un moyen ou par un autre, on aurait recours, en cas de contestation, à une décision illégale de la Cour Suprême pour en arriver au résultat désiré ? Ne cherchez pas : c'est exactement ainsi que les choses se sont passées.
Tout cela exigerait bien sûr que les autres nations soient maintenues dans l'ignorance de la vraie nature de la crise. Cela exigerait également qu'on empêche le monde des affaires en général et les marchés de savoir que le Pic Pétrolier est imminent. Cela exigerait probablement qu'on viole les lois et coutumes de l'Amérique, voire même totalement la Constitution et ce, pas seulement une fois, mais de manière répétitive. Si la crise était d'une telle gravité et si l'on tient compte de la façon de penser des pouvoirs qui sont derrière la mondialisation, quelle autre option pourraient-ils bien considérer ? Ils ont confié les commandes à leur équipe "d'affreux", ceux qui étaient à l'origine de l'Iran-Contra, des escadrons de la mort, du scandale du crédit immobilier et de la Guerre du Golfe, et ils leur ont donné carte blanche.
Mais il faudrait tout de même trouver quelque chose pour justifier la "mobilisation impériale" de Brzezinski et le déploiement de forces armées américaines sur le pied de guerre en Asie centrale et au Moyen-Orient – un ennemi capable de représenter une « menace extérieure directe et à grande échelle que tout le monde percevrait ». [...] Ayant créé un ennemi de toutes pièces et lui ayant fourni des armes, le gouvernement américain se devait maintenant de faire agir cet ennemi sur une échelle suffisamment importante pour faire croire au monde qu'il était en mesure de fournir les plans et le soutien logistique des attaques du 11 septembre.


Michael C. Ruppert


Notes
1. Ahmed, "War on freedom" (La guerre contre la vérité), op. cit., p. 37.
2. Peter Dale Scott, "Afghanistan, Turkmenistan oil and gas, and the projected pipeline" (L'Afghanistan, le pétrole et le gaz du Turkménistan et le projet de pipeline"), 21 octobre 2001 : http://socrates.berkeley.edu/~pdscott/q.html
3. Ahmed, "War on freedom", op. cit.
4. Guardian du 22 septembre 2001 ; BBC du 18 septembre 2001 ; Inter Press Service du 16 novembre 2001 ; et Alexander's Gas and Oil connections du 21 février 2002.
5. Brisard et Dasquié, op. cit., p. 33 (dans sa version anglaise).
6. Guardian du 22 septembre 2001 ; BBC du 18 septembre 2001 ; Inter Press Service du 16 novembre 2001 ; et Alexander's Gas and Oil connections du 21 février 2002.
7. Brisard et Dasquié, op. cit., p. 35 (dans la version anglaise).
8. Ibid., pp. 36-37 (idem).
9. Ibid., pp. 40+42 (idem).
10. http://www.indiareacts.com du 26 juin 2001.
11 "US Tries to stabilize the shaky ground of central Asia" (Les États-Unis essaient de stabiliser les secousses qui agitent l'Asie centrale), The Washington Post du 27 août 2000.
12. FTW, vol. IV, n°1 du 31 mars 2001.
13. Chronologie de Paul Thompson, op. cit.
14. http://www.cia.gov/.../speeches/pavitt_04262002.html
15. Brisard et Dasquié, op. cit., pp. 40-41 (pour la version anglaise).
16. Ibid., pp. 76-77 (idem).
17. Guardian du 22 septembre 2001 ; BBC du 18 septembre 2001 ; Inter Press.
18 "US 'planned attack' on taliban" ('L'attaque prévue' des États-Unis contre les talibans), BBC du 18 septembre 2001.
19. Brisard et Dasquié, op. cit., p. 43 (pour la version anglaise).



Extrait du chapitre 8 de "Franchir le rubicon" tome 1 de Michael C. Ruppert, en vente aux Éditions Nouvelle Terre.




Complément

Toujours à propos de l'articulation entre 11 septembre et pétrole d'Asie centrale, la lecture du chapitre précédent, le chapitre 7, est non moins instructive. En voici un court extrait (pages 157-158), qui évoque John O'Neill, l'un des meilleurs spécialistes de Ben Laden et par ailleurs probablement une victime délibérée du 11 septembre puisque O'Neill a été "chassé" du FBI et affecté à la sécurité dans les tours jumelles peu avant les attentats, dans lesquels il périra (un film lui est d'ailleurs consacré : "Who killed John O'Neill ?"). [Y.D.]

[Ruppert commence par citer la chronologie de Paul Thompson.]

Mi-juillet 2001 – John O'Neill, un expert en antiterrorisme du FBI, parle en privé de l'obstruction que semble faire la Maison Blanche à l'enquête qu'il mène sur Ben Laden. O'Neill déclare : « les principaux obstacles de mon enquête sur le terrorisme islamique ont été constitué par les intérêts des compagnies pétrolières américaines et par le rôle qu'y a joué l'Arabie Saoudite. » Il affirme également que : « toutes les réponses, tout ce qui permettrait de démanteler l'organisation d'Oussama Ben Laden, se trouvent en Arabie Saoudite. » Il pense également que la Maison Blanche fait obstruction à son enquête parce qu'elle retient toujours l'idée d'une possibilité d'accord avec les talibans à propos de l'oléoduc [CNN du 8 janvier 2002 ; Irish Times du 19 novembre 2001 ; le livre "Ben Laden – La vérité interdite" est publié le 11 novembre 2001].

S'il était à l'époque évident – en particulier à la lumière de la note de service Atef 1998 – qu'Al-Qaïda et les talibans n'allaient certainement pas faciliter les choses pour des oléoducs, pourquoi le gouvernement américain aurait-il alors eu intérêt à empêcher le démantèlement d'Al-Qaïda et la suppression d'Oussama Ben Laden ? Il n'y a qu'une seule explication : Ben Laden, Al-Qaïda et les talibans ont été préservés pour servir – le moment venu – à autre chose.

Et un deuxième extrait (page 161) :

Il est clair qu'avec le recul, les révélations de 2003-2004 selon lesquelles George W. Bush avait décidé d'envahir l'Irak alors même que les décombres du World Trade Center fumaient encore, sont parfaitement cohérentes avec tout ce qui précède. Les révélations selon lesquelles le Project for a New American Century (PNAC – Projet pour un nouveau siècle américain) – auquel tant de responsables de l'administration Bush ont contribué – prévoyait déjà l'occupation de l'Irak en septembre 2000, coïncident bien avec les résultats des forages du bassin de la Caspienne.