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Réponse à Lionel Mesnard et à son
« essentialisme » dispersé


par Yves Ducourneau
le 22 juillet 2012

Attentat contre la gare de Bologne en Italie, en 1980
Attentat contre la gare de Bologne en Italie, en 1980.
En 1948, la CIA et le MI6 montent un réseau secret, composé d’anciens nazis, de militants d’extrême-droite et aussi d’agents plus classiques, qui exécuta différents attentats et assassinats en Europe dans les décennies suivantes. En Italie, cette stratégie avait pour but d’empêcher l’extrême-gauche de gagner le pouvoir par la voie des urnes, de casser les mouvements sociaux et de favoriser les politiques répressives.
Vision « machiavélique et paranoïaque » ? Non, de l’Histoire, tout simplement. Lire “Les armées secrètes de l’OTAN”, par Daniele Ganser aux éditions Demi-Lune (1).


Monsieur Lionel Mesnard,

votre article du 21 juin 2012 intitulé “L’essentialisme politique : Séductions et passerelles de l’extrême-droite au sein de la société française et des espaces francophones” (2) me semble mélanger tout et son contraire, et commettre un certains nombre de malentendus qu’un travail plus approfondi sur les sources aurait pu éviter.

En préambule, je crois utile de préciser que je suis de longue date un militant de gauche et que je ne suis en aucune façon ni attiré, ni intéressé par les thèses de l’extrême-droite, et encore moins par toute forme de xénophobie.

L’un des aspects les plus gênants de votre article est son aspect faiblement factuel. Vous pensez par exemple, et c’est votre droit, que le Réseau Voltaire (3) mélange le bon et le moins bon. Mais avec quoi êtes-vous d’accord et avec quoi êtes-vous en désaccord ? Votre lecteur ne le saura pas.

Les accusations non étayées contre Thierry Meyssan sont gênantes car elles sont, hélas, récurrentes concernant ce journaliste ostracisé, ses adversaires ayant pris l’habitude de lui attribuer des positions extrémistes qu’il n’a pas et sans jamais donner la moindre base factuelle (et pour cause, puisqu’elle n’existe pas). Étant pour ma part un lecteur assidu du Réseau Voltaire, je peux affirmer que ce site est tout à fait à gauche et résolument pacifiste. Ce site ne ressemble en rien au portrait que vous en faites.

De la même façon, Jean Bricmont n’a manifestement pas vos faveurs, mais sans que l’on en sache plus. Quelles positions de Bricmont contestez-vous ? Sa défense du droit international ? Sa condamnation de l’impérialisme ? Son inclinaison pro-palestinienne ? Son rejet du droit d’ingérence ? Vous laissez votre lecteur en plein désert.

Pas plus que vous n’indiquez en quoi Bricmont ne serait plus à gauche.

Vous reprochez à Meyssan sa vision « machiavélique ou paranoïaque », ce deuxième adjectif étant récurrent dans l’article. Or, être paranoïaque signifie craindre un danger qui n’existe pas. Vous ne dites pas de quel danger il s’agit, ni en quoi il n’existe pas. Par ailleurs, si la vision géopolitique de Meyssan peut être résumée très brièvement, c’est une position pacifiste et le refus de la domination guerrière du nord sur le sud. Cette vision n’est effrayante que pour les pays du sud, pas pour les occidentaux qui dans cette affaire, sont du bon côté du canon.

Un autre sujet d’étonnement est de vous voir mettre dans le même sac, au prétexte qu’ils seraient tous les trois antisionistes, Dieudonné, Soral et Meyssan. Cela revient à à parler d’un « trio » constitué de Christine Boutin, Martine Aubry et Eva Joly, au prétexte qu’elles seraient toutes les trois des femmes. Les positions des trois personnalités mentionnées sont tout à fait différentes. Dieudonné se focalise sur Israël, au contraire de Meyssan. Soral a un pied à l’extrême-gauche et un autre à l’extrême-droite ; Meyssan est purement à gauche. Soral analyse volontiers les rapports de force entre les religions, tandis que Meyssan raisonne en termes de pays. Où est le « trio » ?

Je ne partage pas, loin s’en faut, toutes les analyses d’Alain Soral mais je ne l’ai jamais vu appeler à la violence.

Pour revenir à l’antisionisme, le problème n’est pas tant de savoir pourquoi Dieudonné, Soral et Meyssan rejettent le sionisme mais pourquoi, depuis 60 ans, les Palestiniens sont victimes d’une politique qui les discrimine en raison de leur religion. Ces familles Palestiniennes brutalement assassinées ou chassées de leur foyer ont-elles commis une faute, un crime ? Ont-elles bénéficé d’un procès juste et équitable dans ce cas ? Rien de tout cela. Leur seul tort est d’être Musulmanes… Or, la Déclaration universelle des droits de l’homme (4) n’interdit-elle pas formellement toute discrimination religieuse ? Pourquoi la gauche modérée ne demande-t-elle pas un peu plus fermement la fin de la discrimination religieuse en Israël-Palestine, c’est-à-dire le rétablissement de l’égalité entre tous, quelle que soit leur religion ? Ceci mettrait fin au conflit d’une façon fort élégante.

Autre sujet et autre époque, votre article reproche à Garaudy et à Faurisson leur révisionnisme de l’Holocauste. Je ne connais pas ce sujet (verrouillé par la loi Gayssot) mais sur le plan des principes, je suis embarrassé lorsqu’un homme, quel qu’il soit, est attaqué sans pouvoir se défendre. Vous ne courez ici aucun risque que les intéressés vous répondent.

Vous êtes manifestement opposé à toute indulgence envers Vincent Reynouard, emprisonné pour révisionnisme de l’Holocauste, et désapprouvez Chomsky lorsqu’il signe une pétition qui rendrait à Reynouard sa liberté d’expression, au motif que Reynouard a été condamné par la Justice. Mais il a été condamné par la loi dont Chomsky réclame justement l’abrogation !

La loi Gayssot est évidemment liberticide puisqu’elle empêche le débat. Pas étonnant, dès lors, que ne soit pas évoquée dans votre article la récente décision du Conseil Constitutionnel retoquant le projet de loi mémorielle de Sarkozy sur le génocide Arménien (5). Les lois mémorielles ont été considérées par le Conseil comme des atteintes aux libertés fondamentales. Cependant, les interprétations ont, curieusement, divergé quant au fait de savoir si cela incluait la loi Gayssot. Il y aurait donc une exception ?

La loi Gayssot ne gêne pas seulement le travail scientifique et le débat démocratique. Elle est aussi et surtout contre-productive puisqu’elle revient d’une part à laisser la parole aux révisionnistes, et d’autre part à leur offrir un argument supplémentaire, en donnant l’impression qu’on n’a pas réussi à avoir le dessus par l’argumentation. Sans compter que le parfum d’interdit peut nourrir les curiosités. Le résultat est sous nos yeux : une effervescence de contenus révisionnistes de l’Holocauste sur Internet (Reynouard, etc.). Votre article traite avec dédain les opposants à la loi Gayssot mais ne répond pas à leurs arguments.

Venons-en au « conspirationnisme » (terme simplificateur dont je soupçonne qu’il soit utilisé pour s’éviter d’aborder les questions gênantes), sur lequel votre article a un avis particulièrement tranché. À vous lire, les “conspirationnistes” sont des êtres maladifs, sinon malades, tandis que de leur côté les médias n’ont rien à se reprocher. Après quoi, au détour d’une phrase, nous revenons directement à l’antisémitisme et au négationnisme de l’Holocauste. Ce raccourci est tellement caricatural qu’on se demande s’il y a de la place, dans votre esprit, pour le questionnement raisonnable de l’histoire contemporaine. Un minimum de connaissance historique oblige à rester prudent devant les déclarations officielles – surtout quand elles servent à justifier une entrée en guerre.

Il circule, certes, des théories farfelues mais celles-ci se nourrissent précisément du silence. C’est en ouvrant le débat et en répondant aux questions posées que l’on ramènera les brebis égarées dans le droit chemin.

Petite erreur factuelle, Tarik Ramadan condamne les châtiments corporels (6).

Pour revenir au thème central de votre article, que l’extrême-droite tente de recruter à gauche est une évidence, avec des motivations électoralistes qui ne le sont pas moins. Mais c’est avant tout le libéralisme forcené tel qu’il est mené actuellement, par ce qu’il engendre de chômage, de pauvreté, de précarité et d’inégalités, qui nourrit cette montée de l’extrême-droite, puisque la gauche conduit une politique économique qui se situe à un cheveu du libéralisme voulu par la droite. C’est le renoncement de la gauche qui produit l’échec social, et l’échec social qui produit l’extrême-droite. Il ne faut pas se tromper de cible. C’est bien sur la gauche que doit s’appliquer la pression, dans la rue et en battant le pavé si nécessaire, pas sur des groupuscules extrémistes qui ne sont pas au pouvoir. La gauche et la droite modérées, elles, sont au pouvoir : qu’en font-elles ? Qu’en est-il de la lutte contre les paradis fiscaux ? Comment lutter contre la course au moins-disant social ? Quelles mesures pour que les profits aillent plus au travail et moins au capital ? Quand les banques d’affaires seront-elles séparées des banques de dépôt ? Quand les banques centrales pourront-elles financer directement les États ? Etc. Pour éviter que demain, les Français ne se jettent dans les bras des extrêmes, c’est en amont et sur ces axes (par exemple) qu’il faut agir.

Cela étant, les dégâts occasionnés par le libéralisme profitent aussi à l’extrême-gauche, par exemple à un intellectuel comme Michel Collon, très relayé sur Internet (et cible, comme Meyssan, d’attaques calomnieuses). Heureusement qu’il reste des intellectuels comme Collon et Bricmont car la gauche est devenue, dans l’ensemble, très timorée, sinon carrément atlantiste, sur les questions d’impérialisme, allant jusqu’à soutenir de lamentables opérations comme la guerre en Libye, opération dont il était évident dès la première seconde qu’elle visait à piller les ressources naturelles de ce pays (la Libye possède les 7èmes réserves de pétrole conventionnel) et nullement le bien-être des populations.

Mais le plus grave malentendu de votre article est peut-être qu’il voit des passerelles entre gauche et droite là où cette distinction n’a pas de sens. En géopolitique (domaine traité par Meyssan, Soral, etc.), la distinction gauche-droite s’efface devant celle entre légalistes et impérialistes : les premiers sont partisans du respect du droit international ; les deuxièmes sont partisans de la loi du plus fort. Le filtre gauche-droite, inapproprié dans ce contexte, donne une fausse impression de rapprochement entre gauche et droite qui n’existe pas. Il se trouve, tout simplement, qu’il existe des légalistes à gauche et à droite, et des impérialistes à gauche et à droite. Les équipées guerrières de l’OTAN en Afghanistan et en Libye, l’usage d’armes à l’uranium appauvri en Irak, l’utilisation de combattants islamistes fanatisés en Syrie et en Libye, sont parfaitement choquants indépendamment de toute couleur politique.


Yves Ducourneau


(1) http://www.editionsdemilune.com/les-armees-secretes-de-lotan-p-16.html

(2) http://histoireetsociete.wordpress.com/…francophones-par-lionel-mesnard/

(3) http://www.voltairenet.org/fr

(4) http://www.un.org/fr/documents/udhr/

(5) http://www.ndf.fr/…constitutionnel-va-t-il-sonner-le-glas-des-lois-memorielles

(6) http://www.agoravox.tv/…tariq-ramadan-face-a-cope-au-grand-29194