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Syrie : où nous emmène
Jean-Pierre Filiu ?



par Yves Ducourneau
le 10 mai 2013

Soulagement des civils après que les rebelles aient été chassés de Sbeneh (Syrie, septembre 2012)
Soulagement après que les rebelles aient été chassés de Sbeneh (Syrie, septembre 2012). (source)

Monsieur Paoli,

Jean-Pierre Filiu, historien omniprésent sur France Inter et sur la question syrienne, était encore invité ce dimanche 5 mai et cela grâce à vous, dans votre émission 3D. Jean-Pierre Filiu a pu y répandre sa vision de la situation, particulièrement manichéenne. Savez-vous, monsieur Paoli, que de nombreuses preuves le contredisent ?

Peu de journalistes entrent en Syrie, conséquence du fait que pendant la guerre de Libye, l’OTAN a utilisé cette couverture pour introduire des agents de renseignement qui guidaient les bombardements. Il est dès lors difficile pour le public occidental de se faire une opinion fiable sur la situation. Cependant, un petit nombre de journalistes et d’enquêteurs indépendants ont tout de même pu entrer en Syrie, avec l’autorisation du gouvernement. Monsieur Paoli, nous attirons ici votre attention sur quelques-uns de ces enquêteurs et sur les informations qu’ils rapportent, car elles contredisent absolument le récit du “spécialiste” Jean-Pierre Filiu.

Source 1 : Françoise Wallemacq (RTBF)

Françoise Wallemacq est journaliste à la RTBF, l’équivalent de France Télévisions en Belgique. Elle s’est rendue en Syrie en novembre 2011. (1)

Source 2 : Karim Baïla (les inRocKs)

Karim Baïla est journaliste et grand reporter. Il est allé en Syrie en décembre 2011, notamment à Damas, et a publié un “Carnet de route” dans les inRocKs. (2)

Source 3 : Christophe Lamfalussy (La Libre Belgique)

Christophe Lamfalussy est journaliste. Il est parti en reportage pour La Libre Belgique à Qusayr, en Syrie, en novembre 2011. (3)

Source 4 : Pierre Piccinin

Pierre Piccinin est historien et politologue. Il s’est rendu en Syrie à plusieurs reprises, à partir de 2011, où il a pu se rendre à la fois dans les zones contrôlées par le gouvernement et par les rebelles. (4)
Après une expérience traumatisante dans une prison syrienne, en mai 2012, où il a été détenu par erreur et soumis à la torture, il a quitté sa neutralité et pris fait et cause pour la rébellion. (5) Nous considérerons ici uniquement les faits que Pierre Piccinin a pu rapporter, en l’occurrence antérieurs à ce virage compréhensible, et saluons son immense courage pour son implication dans un dossier aussi difficile.

Source 5 : Adnan Azzam

Adnan Azzam est un auteur franco-syrien, chevalier de l’ordre national du mérite et fondateur d’un parti politique syrien. Il vient de passer deux ans en Syrie. (6)

Source 6 : Clap 36

Auteur de documentaires, l’association indépendante Clap 36 s’est illustrée par son opposition à toute ingérence étrangère lors du conflit libyen. Elle s’est rendue en Syrie fin 2011 et en a rapporté un documentaire, “(Dé)montage syrien”. (7)

Source 7 : Soeur Marie Agnès-Mariam de la Croix

Religieuse chrétienne, Soeur Marie Agnès dirige un monastère en Syrie, où elle vit depuis 18 ans. Ce monastère reçoit de nombreux visiteurs et constitue de ce fait un poste d’observation privilégié. (8)

Source 8 : le CIRET-AVT et le CF2R

Ces deux associations indépendantes, spécialisées respectivement dans le terrorisme et le renseignement, ont envoyé en décembre 2011 un groupe d’analystes en Syrie, parmi lesquels des personnalités aussi prestigieuses que Richard Labévière, ancien rédacteur en chef à Radio France Internationale, et Eric Denécé, directeur du CF2R et auteur du volumineux “La face cachée des révolutions arabes” aux éditions Ellipses. Le groupe a pu rencontrer l’opposition politique. (9)

Source 9 : la Mission d’observation de la Ligue Arabe

La Mission d’observation a été créée par la Ligue Arabe avec pour objectif de trouver une solution politique au conflit. Sa présence en Syrie va de décembre 2011 à janvier 2012. Son rapport nous intéresse d’autant plus que la Ligue Arabe est majoritairement constituée de pays hostiles au gouvernement de Bachar el-Assad et que la mission fut imposée à la Syrie. (10)

Une population terrorisée par les rebelles

TOUTES ces sources, monsieur Paoli, décrivent une population terrorisée par la rébellion (pas par l’armée !), c’est-à-dire une situation diamétralement opposée au récit que font M. Filiu et beaucoup d’autres “experts”. La raison du rejet des rebelles par la population tient dans le fait que la rébellion a fait très tôt usage d’armes lourdes et mené une véritable guerre, dont furent victimes aussi bien les militaires que les civils et les infrastructures. Devant un tel afflux de violence, l’opposition politique (à distinguer de l’opposition armée), qui initialement espérait des réformes, s’est vite retournée vers le président Bachar el-Assad, à qui elle a logiquement demandé protection. Dès lors, l’armée régulière mène un travail héroïque pour chasser les terroristes (puisque tel est le terme utilisé pour désigner les rebelles, en Syrie) et restaurer la sécurité des populations.

Joie des enfants après l’arrivée de l’armée régulière à Idleb (Syrie, septembre 2012)
Joie des enfants après l’arrivée de l’armée régulière à Idleb (Syrie, septembre 2012).

Les syriens soutiennent leur président

À son retour de Syrie, Françoise Wallemacq témoigne : « J’ai le sentiment que la grande majorité des Syriens soutient encore le président Bachar El-Assad » (11) Le CIRET-AVT – CF2R est légèrement plus nuancé : « Certes, le régime syrien n’est pas un modèle démocratique, mais tout est mis en oeuvre par ses adversaires afin de noircir encore le tableau, afin d’assurer le soutien de l’opinion internationale à l’opposition extérieure et justifier les mesures prises à son encontre, dans l’espoir d’accélérer sa chute. Cette falsification des faits dissimule à l’opinion mondiale le soutien que la majorité de la population syrienne apporte – souvent à contrecoeur – au régime (…) ».

Même surprise chez Karim Baïla. Arrivé à Damas alors que les médias occidentaux dépeignent une répression sanglante, Karim Baïla écrit : « On a l’impression qu’il ne se passe rien ici. Les terrasses des cafés sont bondées. » Et d’enregistrer des professions de foi favorables au président Bachar el-Assad.

Pierre Piccinin, venu voir les « manifestations gigantesques » de l’opposition décrites par les médias occidentaux, ne voit que quelques maigres rassemblements « épisodiques » de « quelques centaines de personnes seulement, quelques milliers parfois », limités à « quelques quartiers périphériques des grandes villes ». À Hama, où il se trouve, il constate que les manifestations se passent dans le calme : « L’armée n’est pas intervenue ; il n’y a pas eu de violence. »

Même constat de la Mission d’observation de la Ligue Arabe au sujet des différentes manifestations : « Les partisans comme les adversaires de l’autorité n’ont été soumis à aucune répression. »

Les manifestations de soutien

Témoin de manifestations favorables au gouvernement, Françoise Wallemacq rapporte : « Je ne peux pas croire que ces gens soient payés pour descendre dans la rue et manifester leur soutien à leur président avec le sourire. Il me semble que c’est difficile de manipuler une telle ferveur populaire, un tel soutien de la population. »

Le CIRET-AVT – CF2R appuie : « un nombre très important de Syriens participe sans contrainte » à ces manifestations de soutien.

Rappelons que le référendum constitutionnel organisé par Bachar el-Assad en février 2012, soit un an après le début de la crise, a connu un double succès : à la fois dans son issue (le “oui” a gagné à 90 %) et dans son taux de participation (57 %). (12) Depuis un an, rapporte Adnan Azzam, quinze partis ont été créés en Syrie. Le multipartisme est désormais une réalité.

Militaires et civils improvisent une danse à l’issue d’une manifestation de soutien au gouvernement (Syrie
Militaires et civils improvisent une danse à l’issue d’une manifestation de soutien au gouvernement. Imaginerait-on pareille scène si l’armée tuait la population ?
(source :
Clap 36)

Des rebelles armés jusqu’aux dents

Il est peu usuel que les populations stockent à domicile des armes et munitions de guerre : bombes thermiques, missiles anti-blindage, explosifs, etc. On trouve plutôt dans les habitations des livres, des vêtements et autres objets inoffensifs. Dès lors, la question qui vient à l’esprit est de savoir comment les rebelles se sont retrouvés, dès les premiers heurts, équipés de telles armes. Car les rebelles sont armés – et lourdement.

Le CIRET-AVT – CF2R s’étonne que les rebelles se soient armés aussi vite : « Dès le 18 mars, soit trois jours après le début du mouvement, des armes de guerre ont été repérées non seulement à Deraa, mais aussi à Homs, Hama et dans différentes agglomérations proches de la frontière turque. » À Homs, « les groupes armés ont commencé des opérations dès mai 2011. (…) Ainsi, le 8 décembre 2011, des éléments armés ont attaqué la raffinerie de Homs pour aggraver les pénuries afin d’attiser le mécontentement populaire. »

Françoise Wallemacq constate les effets de ces armes terribles : « J’ai vu des blessés, dans les hôpitaux de Homs, qui étaient blessés par des armes lourdes. C’était des militaires, des soldats des forces de l’ordre, qui étaient blessés par des éclats de shrapnels, d’armes lourdes. »

Christophe Lamfalussy constate également qu’on est loin de manifestations pacifiques. « “En vingt jours, explique un colonel, cinq militaires ont été tués ainsi que trois civils nous soutenant.” (…) [Les rebelles] instillent un climat de terreur, poursuit le haut gradé. Un homme a été tué parce qu’il louait sa voiture à l’Etat. Un autre, un chauffeur de taxi, reconduisait le personnel de la municipalité vers leurs domiciles. Il a été tué également. Il n’a pas été tué parce qu’il était chrétien, mais parce qu’il travaillait pour l’Etat. Même les éboueurs sont liquidés.” »

Lors d’une conférence à Paris intitulée “La France se trompe d’amis”, Adnan Azzam rapporte que les attentats contre les bus et les arrêts de bus sont quotidiens en Syrie. Les populations vivent l’enfer.

Soeur Marie Agnès précise le mode opératoire des attentats : « Dernièrement, après les grandes voitures piégées, les grands attentats à la voiture piégée qui faisaient à chaque fois entre 20 et 100 morts, on est passés à un autre diapason : c’est celui des petites bombes, les bombes mobiles, qu’on colle dans des bus de transport public ou bien aux angles des rues. Et là, c’est un terrorisme qui est infligé à la population innocente et civile. Et alors, indistinctement, ce sont des hommes, des femmes, des enfants, comme l’attentat qui a eu lieu dans le bus d’une école où 29 enfants ont été totalement déchiquetés par l’explosion. »

Adnan Azzam évoque le phénomène des enlèvements. Si la rançon ne parvient pas assez vite aux rebelles, ceux-ci envoient des doigts ou une jambe coupés aux familles. Si la famille ne parvient pas à réunir la somme exigée, elle retrouve le cadavre de son fils ou de son père dans une poubelle.

Soeur Marie Agnès parle des rebelles comme de « bandits (…) dont la finalité est uniquement de s’enrichir (…) : à base d’enlever les gens, de les séquestrer, de demander des rançons, de voler, de violer, de détruire, de piller. À la longue, la population demande l’intervention de l’armée régulière et je suis témoin que cette intervention se laisse attendre. Et entre temps, il y a beaucoup de dommages dans la population civile, beaucoup de morts, beaucoup de personnes assassinées ciblées parce qu’elles sont des fonctionnaires ou bien des artisans qui maintiennent le cours de la vie civile ». Mais quelle logique guide donc la rébellion ?

Lorsque Karim Baïla demande à un policier si l’armée tue des civils, celui-ci répond : « “Nous, nous tuons les terroristes. Hier, des dizaines de combattants venus du Liban ont investi le quartier pour en découdre avec nous. Ils s’habillent en militaires et sèment la terreur. Nous avons passé une nuit infernale.” » Le policier ajoute : « “Quel intérêt aurions-nous à tirer sur la population ? Nous serions tellement mieux dans nos casernes ; nous ne voulons pas la guerre civile.” »

Rebelles de l'ASL au combat (Syrie)
Des démocrates ? (source)

La Mission d’observation de la Ligue Arabe enfonce le clou : « Après son arrivée à Homs, le chef de mission a immédiatement rencontré le Gouverneur de la ville qui a expliqué qu’elle souffre de la propagation de la violence du fait des groupes armés, des cas d’enlèvements, des actes de sabotage des installations étatiques et civiles, du grand manque de nourriture en raison du siège imposé par les groupes armés dont le nombre est estimé à 3 000 membres. Le Gouverneur de la ville a souligné l’échec de toutes les tentatives pour arriver à une accalmie (…) ». Les rebelles ne sont pas équipés de simples revolvers : « La Mission a observé dans les deux secteurs de Homs et Hama des actes de violence du fait des groupes armés contre les forces gouvernementales, qui ont fait des tués et des blessés parmi les troupes gouvernementales. Dans certaines situations, les forces gouvernementales ont recours à la violence comme réaction aux attaques perpétrées contre ses membres. Les observateurs de la mission ont noté que les groupes armés ont recours aux bombes thermiques et aux missiles anti-blindage. » Mais d’où viennent ces armes ? Les attaques des rebelles font, par ailleurs, preuve de peu de discernement : « La Mission a été témoin dans les secteurs de Homs, Idlib et Hama d’actes de violence contre les troupes gouvernementales et contre les citoyens, entraînant de nombreux décès et blessures. C’est le cas de l’explosion de l’autobus civil, tuant huit personnes et blessant plusieurs autres, dont des femmes et des enfants ; (…) l’attaque à l’explosif du pipeline de carburant (…) ». Monsieur Paoli, pourquoi des démocrates sincères déchaîneraient-ils une telle violence contre leurs compatriotes ?

En route vers un Califat islamique ?

Le comportement étrange des rebelles prend tout son sens lorsque l’on sait que, selon de nombreuses sources, ceux-ci sont souvent étrangers : saoudiens, libyens, afghans, tunisiens, égyptiens, irakiens, qataris, turcs, libanais, mais aussi russes, espagnols, britanniques, français, etc. (8) (13) (14) (15) Ils arrivent dans les pays voisins et franchissent clandestinement la frontière.

Soeur Marie Agnès détaille ces flux : « Nous avons ainsi quatre foyers sensibles dans la carte syrienne. Un foyer qui est infiltré par la Jordanie sunnite, un foyer qui est infiltré par la Turquie sunnite, un foyer qui est infiltré par l’Irak sunnite, c’est-à-dire les sunnites de l’Irak, et un foyer qui est infiltré par le Liban sunnite. » (7) Elle n’exclut pas la présence de Syriens : « Ces gens-là, alors il y a une minorité qui provient des provinces de Syrie, surtout les campagnes. Il y a aussi certains jeunes éduqués qui ont versé dans ce wahhabisme, par conviction religieuse. Le tiers de ces bandes, de ces groupes armés est étranger, et donc ce sont des mercenaires, ou des volontaires, qui viennent de divers pays comme l’Arabie Saoudite, la Libye, la Tunisie, le Maroc, le Soudan, la Somalie, la Jordanie, l’Égypte, le Liban, le Pakistan, l’Afghanistan, la Tchétchénie, même le Kosovo, et nous avons aussi des ressortissants français, anglais, irlandais, australiens et même suédois, de souche arabe. » (8)

Cela explique pourquoi les premières régions attaquées sont à la périphérie du pays. Ainsi, selon Pierre Piccinin : « L’ASL attaque les agglomérations proches des zones frontalières, principalement Zabadani, au nord-ouest de Damas, à la frontière du Liban, Talkalakh et Qousseir, dans la province de Homs, et Idlib, à proximité de la frontière turque. » Les rebelles peuvent franchir la frontière dans l’autre sens, si le combat contre les forces régulières tourne en leur défaveur.

Le CIRET-AVT – CF2R confirme : « Selon plusieurs sources sécuritaires concordantes, des activistes libyens (…) sont infiltrés dans des kataëbs de l’Armée libre de Syrie. Ils rentrent par les camps de réfugiés installés le long de la frontière turque. »

« Allah akbar ! Allah akbar ! » Rebelles au coeur des combats en Syrie
« Allah akbar ! Allah akbar ! » Même au coeur des combats, les rebelles n’ont que ce cri à la bouche. Les vidéos de l’ASL où ces “Allah akbar” retentissent sont légion. Comment concilier ce fait avec la Syrie multi-confessionnelle ? (source)

Cette internationale islamiste est animée par une vision rigoriste de l’Islam, qui contraste avec l’Islam modéré et tolérant implanté en Syrie, terre multi-confessionnelle par excellence. Soeur Marie Agnès insiste sur la coloration religieuse très marquée des combattants : « Ces bandes, d’après les analyses et d’après nos informations, la plupart, les 99 % appartiennent à une confession, qui est la confession sunnite en Syrie. » Elle témoigne d’une rage particulière à l’égard des Chrétiens : « Les Chrétiens font partie de cette population civile, déjà à Homs. À cause de l’invasion non justifiée des bandes armées de, soi-disant, “l’opposition” dans leurs quartiers résidentiels en février 2012, cette présence massive, indisciplinée et agressive de la branche armée de l’opposition a fait que la plupart des Chrétiens de Homs a pris le chemin de l’exil, de l’exode. Nous avons eu 130 000 Chrétiens de Homs et de sa province qui ont pris la fuite, qui sont des déplacés. » Les logements abandonnés par les Chrétiens sont parfois ré-occupés par des familles sunnites. Après les Chrétiens, leurs lieux de culte : « À l’occasion de ces invasions et des combats concomitants, les lieux de culte ont été effectivement attaqués et partiellement détruits, ou totalement, et souvent désacralisés, avec l’introduction de ces bandes à l’intérieur de ces édifices pour y sévir d’une manière contraire au respect de la confession des autres et de la sacralité des lieux, malheureusement. » (8) Et Soeur Marie Agnès de conclure : « La réalité sur le terrain est l’implantation d’un fanatisme religieux qui ne peut pas garantir la liberté ou la démocratie et qui n’inspire plus confiance à personne, même pas aux musulmans modérés. »

Pierre Piccinin résume : « Il existe d’autres mouvances d’opposition, parfois violentes [euphémisme !] et dont les objectifs ne sont pas identiques à ceux des démocrates pacifiques. C’est notamment le cas de la fraction islamiste de la communauté sunnite, organisée autour des Frères musulmans, qui ambitionnent l’instauration d’une république islamique en Syrie, ce qui terrifie les Chrétiens et la plupart des autres minorités, dès lors favorables au statu quo actuel et au parti Baath, garant de la laïcité de l’État. » Rejetés par les syriens, la vengeance aveugle est tout ce qui reste à ces combattants déracinés, et les enlèvements comme moyen de subsistance.

Le drapeau syrien re-colorié en vert par les rebelles (Syrie)
Afin d’annoncer sans ambiguïté le Califat islamique qu’ils s’efforcent d’instaurer en Syrie, les rebelles ont remplacé le rouge du drapeau syrien par du vert (couleur de l’Islam). Mais peut-être Jean-Pierre Filiu est-il daltonien ?

Des médias occidentaux intoxiqués

Plusieurs sources, monsieur Paoli, mentionnent des erreurs médiatiques grossières, erreurs qui souvent consistent ni plus ni moins qu’à imputer les crimes des rebelles à l’armée régulière, et à présenter les manifestations favorables au gouvernement comme issues de l’opposition.

Pierre Piccinin en a lui-même constatées : en juillet 2011, l’AFP annonce des manifestations de l’opposition considérables dans tout le pays, dont 500 000 personnes à Hama. Or, Pierre Piccinin est sur place et constate, photos à l’appui, que les opposants « n’étaient, en réalité, pas 10 000 ». (4) En novembre 2011, Pierre Piccinin, toujours muni d’un appareil photo, apprend qu’Al-Jazeera annonce que le siège du parti Baath à Damas a été attaqué par des roquettes. Il se rend sur place et constate, photo à l’appui, que le bâtiment est intact. (16) En décembre 2011, la presse occidentale rapporte qu’un partisan du gouvernement a commis un massacre sur des étudiants dans une salle d’examen. Pierre Piccinin se rend sur place, interroge les étudiants et découvre que le tueur était un opposant, et qu’il avait visé des étudiants appartenant à des associations étudiantes proches du pouvoir. (15)

Le CIRET-AVT – CF2R rapporte lui aussi plusieurs de ces erreurs médiatiques. « À Homs, début décembre 2011, une manifestation a eu lieu pour réclamer le départ du gouverneur qui ne protège par efficacement la population contre les insurgés. Elle a été présentée par les médias étrangers comme une manifestation contre le régime. » Les médias arabes semblent parfois dotés de pouvoirs surnaturels : « À Douma, en novembre 2011, Al-Jazeera et Al-Arabya annoncent à 1h30 qu’un centre de sécurité syrien a été attaqué et bombardé. La TV syrienne envoie une équipe sur place à 2h30 pour montrer qu’il ne se passe rien. Néanmoins, ce centre sera bien attaqué… à 3h00 ! » Le rapport enchaîne : « La manipulation médiatique la plus marquante s’est produite à Homs où une femme a vu son enfant assassiné par un groupe d’insurgés et, moins d’une heure plus tard, l’image de ce crime était diffusée sur Al-Jazeera comme étant une exaction de l’armée syrienne. » Les “erreurs” médiatiques sont si nombreuses qu’il est difficile de croire à l’absence de caractère intentionnel.

En France, Le Parisien annonçait, en juin 2011, d’importantes manifestations de l’opposition et joignait à son article une photo d’une foule dense où l’on distinguait, malheureusement pour le journal, des portraits de Bachar el-Assad. Il s’agissait d’une manifestation de soutien au gouvernement. (17)

Les dramatiques événements vécus par Pierre Piccinin nous rappellent combien le métier de journaliste est dangereux sur un théâtre de guerre. Dans le cas syrien, si les journalistes sont les bienvenus lorsqu’il s’agit de visiter le “pavillon témoin” de l’ASL, comme Florence Aubenas s’y est laissée prendre, d’autres au contraire ont la malchance de tomber sur l’envers du décor et manquent d’y laisser leur vie, comme ces deux journalistes anglais et néerlandais faits prisonniers par des combattants islamistes. (14) Tentant de nous apitoyer sur les faibles moyens dont disposent les rebelles, Florence Aubenas rapporte qu’ « Il n’y a même pas une kalachnikov par personne » (18), une affirmation réfutée par les nombreuses preuves présentées ici (les rebelles sont lourdement armés).

Manifestation d’opposants à Hama, le 15 juillet 2011 (Syrie). Photo Pierre Piccinin
Manifestation d’opposants à Hama, le 15 juillet 2011 (Syrie). L’AFP annonce 500 000 participants mais Pierre Piccinin, sur place, en dénombre moins de 10 000. (photo Pierre Piccinin ; source)

L’OSDH : ni observateur, ni droits-de-l’hommiste, mais vrai désinformateur

L’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH) est la principale source d’information des médias occidentaux. Or, Pierre Piccinin fait à son sujet une révélation qui aurait mérité de faire le tour du monde : ce soi-disant observatoire est tenu par un homme seul, Oussama Ali Suleiman, proche de Rifaat el-Assad, l’oncle du président Bachar el-Assad et son ennemi juré. Rifaat el-Assad rêve d’être calife à la place du calife. Avec une audace incroyable, Oussama Ali Suleiman s’est introduit à l’OSDH sous un faux nom et sans mentionner sa proximité avec Rifaat el-Assad. Lorsque ces liens ont fini par être découverts par le reste de l’équipe, notre homme a volé les mots de passe du site Internet et a pu continuer, jusqu’à ce jour, à diffuser de “l’information” au nom de l’OSDH, depuis la Grande-Bretagne où il réside. La dernière accusation recueillie par Pierre Piccinin à l’encontre d’Oussama Ali Suleiman est aussi la plus lourde : selon le reste de l’équipe, les informations falsifiées émises par l’OSDH sont le seul fait d’Oussama Ali Suleiman, lequel n’a pas souhaité répondre aux questions de Pierre Piccinin. (15)

Résumons : les médias occidentaux sont informés, ou plutôt, intoxiqués par un homme seul, basé en Grande-Bretagne, auto-proclamé Observatoire Syrien des Droits de l’Homme et décidé à faire tomber le pouvoir à tout prix. Couvrant les crimes des combattants et dissimulant leurs intentions réelles (établir un Califat islamique), Oussama Ali Suleiman semble bien peu concerné par la cause des droits de l’homme, et plutôt jouer un jeu subtil au sein d’intérêts plus larges.

Des enjeux énergétiques (où il n’est plus du tout question de droits de l’homme)

La Syrie, qui appartient actuellement à la zone d’influence russe, se trouve au centre d’enjeux énergétiques, liés notamment à l’acheminement de gaz et à la concurrence de pays alliés des États-Unis avec la Russie, autre grand producteur (19). Dès lors, il n’est pas besoin de boule de cristal pour comprendre que les États-Unis et leurs alliés, dont la France, sont satisfaits de voir se diffuser une “information” amenant l’opinion publique occidentale à souhaiter la guerre, guerre qui pourra renverser l’actuel pouvoir (proche de la Russie) et le remplacer par un nouveau pouvoir qui servira au mieux les intérêts des pays qui financent et soutiennent (publiquement ou en sous-main) la rébellion : les États-Unis (20), la France, etc.

Le CIRET-AVT – CF2R voit plus loin et écrit : « Notre constat principal est que le dossier iranien conditionne largement la gestion de la crise syrienne ». Cependant, ceci nous ramène encore à l’énergie puisque l’Iran possède les troisièmes réserves mondiales de pétrole, des réserves convoitées par les États-Unis (21). Or, la question de l’approvisionnement en pétrole et en gaz prend toute son acuité, pour les pays gros consommateurs, à l’orée du Pic Pétrolier, point culminant de la production pétrolière mondiale attendu autour de 2015.

Un système médiatique mal en point

Monsieur Paoli, au cours de votre émission, Jean-Pierre Filiu a appelé à donner encore plus d’armes aux rebelles. Cela signifie, à l’évidence, et que monsieur Filiu en soit conscient ou non, encore plus de morts et de destructions en Syrie, que l’OSDH attribuera au gouvernement, et ainsi de suite. Cette surenchère dans la violence sert une cause dont nous souhaitons, et dont nous voulons croire, qu’elle pourrait être résolue de façon plus raisonnable et pacifique, pour le bien à la fois des Syriens et des Occidentaux, jouets d’une mécanique médiatique des plus perverses. Bachar el-Assad se bat aujourd’hui avec énergie pour éviter à son pays de sombrer dans un chaos semblable à celui auquel nous assistons en Afghanistan, en Irak ou en Libye.

Monsieur Paoli, vous qui avez à cœur dans votre émission 3D de diversifier les points de vue, donnerez-vous la parole à des intervenants qui contestent le discours dominant sur la Syrie ? Pour l’équilibre de l’information et pour donner une chance à la paix au Proche Orient, ce serait hautement souhaitable.

Je vous prie d’agréer, Monsieur Paoli, l’expression de mes sentiments distingués.


Yves Ducourneau


Notes

(1) “Syrie: situation explosive selon une journaliste RTBF sur place”, par Françoise Wallemacq, RTBF, 21/11/2011

(2) “Carnet de route en Syrie”, par Karim Baïla, les inRocKs, 19/12/2011

(3) “Syrie : "Même les éboueurs sont liquidés"”, par Christophe Lamfalussy, La Libre Belgique, 22/11/2011

(4) “« L’Affaire de Hama » ou comment 10 000 manifestants se multiplient en 500 000 dans les dépêches de l’AFP”, par Pierre Piccinin, 07/2011

(5) “Syrie, un Belge témoigne: "Ce que j'ai vu, c'est l'enfer sur Terre"”, par Julien Vlassenbroek et Françoise Wallemacq, 24-05-2012

(6) “Conférence sur la Syrie intitulée : « La France se trompe d'amis »”, par Adnan Azzam, 04/05/2013

(7) “(Dé)montage syrien”, par Clap 36, 01/2012

(8) “Témoignage : Mère Marie Agnès partage ses espoirs pour la Syrie”, 27/12/2012, Cercle des Volontaires

(9) “Syrie : une libanisation fabriquée” (PDF), par le CIRET-AVT et le CF2R, 01/2012

(10) “Le rapport de la Mission d'observation de la Ligue arabe en Syrie” (traduction française), 31/01/2012

(11) “Interview de Françoise Wallemacq de retour de Syrie”, par Marie-Ange Patrizio, 27/11/2011

(12) “Référendum constitutionnel : le "oui" l'emporte sur fond de bombardements”, par AFP, le 28/02/2012

(13) “Mercenaires abattus en Syrie : 3 ressortissants russes sur la liste”, 26/11/2012, RIA Novosti

(14) “En Syrie, des djihadistes en embuscade”, par Adrien Jaulmes, Le Figaro, le 30/07/2012

(15) “Syrie - Désinformation massive”, par Pierre Piccinin, 01/2012

(16) “Syrie - La « révolution » impossible. Au-delà de toutes les propagandes et interprétations… Témoignage et analyse”, par Pierre Piccinin, 02/2012

(17) “Le Parisien nous donne une nouvelle preuve de rigueur journalistique !”, par Guy Delorme, le 30/06/2011

(18) “Florence Aubenas : "Les rebelles syriens n'ont aucun doute : ils vont gagner"”, par Florence Aubenas, Le Monde, 16/08/2012

(19) “Syrie : le trajet des gazoducs qataris décide des zones de combat !”, par Nasser Charara, 13/11/2012

(20) “Syrie : les Etats-Unis s'engagent à "accélérer la fin du régime Assad"”, par Le Monde, AFP et Reuters, 11/08/2012

(21) “Reconstruire les défenses de l'Amérique” (traduction française), PNAC, 09/2000